Frère Brodsky

Où l'on voit Brodsky rencontrer un œil bien étrange, apprendre qu'il est le descendant d'un dieu de l'Olympe, et devoir choisir entre trois femmes plus belles les unes que les autres…

— Aspirant, quel est ton nom ? retentit une voix forte qui me sembla être celle de Lioubov.
— C'est à moi que vous parlez ?
— Aspirant, quel est ton nom ?
— Brodsky. Simon Brodsky.
— Que viens-tu chercher parmi nous ?
— Je veux niq… euh, je viens chercher la Lumière de la Vérité et la connaissance du Grand Secret de l'Univers.
— As-tu rédigé ton testament spirituel ?
— Oui.
— Donne-le-nous.

Je le sortis de ma poche, et quelqu'un que je ne pouvais pas voir s'en empara.

— Qu'on lui donne la Lumière !

On m’ôta le masque.
Je me trouvais au centre d'une pièce lumineuse, avec un tas de gens assis sur des fauteuils installés sur des gradins, tous dans des tenues étranges. Les mecs étaient torse nu, avec juste un petit tablier de cuir autour de la taille, orné d'un triangle isocèle à l'envers avec au centre un œil. Le même triangle, avec le même œil se trouvait au-dessus. Cet œil était vachement étrange… Ce n'était pas l’œil habituel que l'on peut voir dans les loges maçonniques. Il avait quelque chose de plus : il semblait… « coquin ».

Les femmes, elles, étaient toutes dans des tenues invitant aux divers et variés jeux de l'amour. Je vous ai décrit Charline ; mais Inanna, dans son petit voile blanc transparent et vaporeux, ressemblait à une des vierges promises par les livres saints. Quant à Lizzy, elle contrastait comme on pouvait s'y attendre avec son ensemble de latex noir et sa crinière blonde qui descendait jusqu'à ses fesses sublimes.

Lioubov se tourna alors vers l'œil coquin qui se trouvait derrière lui, exhiba cérémonieusement le testament et implora :

— Ô, Œil Coquin, toi qui depuis toujours sondes les âmes et les cœurs de notre Loge si parfaite, acceptes-tu de valider ce testament spirituel ?

L’œil s'anima soudain et scruta impitoyablement le document. On entendit un petit grésillement, puis il finit par déclarer :

— Ce testament est compatible avec notre Sainte Charte, et l'aspirant a respecté toutes les règles de la Loge. Qu'on lui délie les mains, et que l'Initiation commence.

Une musique religieuse retentit alors dans toute la pièce tandis que Charline me déliait les mains. Avant de retourner à sa place, elle me glissa tout bas à l'oreille :

— Je te préviens : tu as intérêt à me choisir…
— Choisir pour quoi ?
— T'as intérêt, c'est tout.

Le chevalier Goumi du Lac remplaça Lioubov sur l'estrade et se plaça devant le micro. J'avais pas remarqué, mais le micro avait la forme d'une bite. En fait, si on y faisait attention, tout le design de la salle avait le sexe pour thème. C'était subtil, agréablement conçu, mais c'était clair : on était bien dans une sorte de lupanar géant. Le chevalier commença son oraison :

— Frères et Sœurs, Dieux et Déesses, Mortels et Immortels qui vous trouvez parmi nous, méditons notre Histoire… Quand les suppôts du dieu unique eurent vaincu nos aïeux olympiens, quelques-uns d'entre nous trouvèrent refuge au milieu des hommes en espérant que ces derniers se souviendraient des bontés dont ils les avaient comblés durant des siècles. Mais tout ce qui est unique est par nature totalitaire ; aussi le dieu-colère des Juifs, même drapé du manteau de Pardon par les chrétiens, ou de celui de la Clémence et de la Miséricorde chez les disciples de Mahomet, a toujours été et restera toujours un dieu tyrannique, intransigeant, jaloux des arts qui représentent autre chose que lui-même, ennemi de l'Amour, de la Nature et de ses créatures enchantées. Ce dieu est notre ennemi ! Ce dieu qui ravage aujourd'hui le monde, qui demande aux hommes de mourir pour lui, doit être anéanti. Cela viendra un jour, mes Frères et mes Sœurs… mais les temps ne sont pas encore venus.

Bon, jusque là on était dans ce que j'imaginais au départ, le discours franc-mac' type. Dieu est un enfoiré et c'est nous qu'on est les plus intelligents et qu’il faut écouter. On est la Vérité, la Lumière et la Vie. Bref, on n’aime pas Dieu parce qu'on veut juste lui piquer sa place, et on s'invente des origines extraordinaires pour épater les couillons. Au choix, on peut descendre des derniers Templiers, des premiers Extraterrestres, de la treizième Tribu, mais jamais du Dernier des Cons, ce qui pourtant aurait le mérite de mieux cerner le niveau culturel des prétendants à l'entrée. Bon, là, on était des descendants des dieux olympiens. Pourquoi pas… Je dois dire que c'était marrant ; ça avait de la gueule, et j'attendais qu'arrivent les muses, les vestales, et toutes ces petites salopes légèrement vêtues pour que la fête puisse enfin vraiment commencer. Mais le chevalier continuait son discours, et je comprenais bien qu'on avait pas fini la cérémonie. J'eus un peu honte quand même… parce que finalement, tout ce cirque était pour MOI, que c'était en l'honneur de ma gueule À MOI que tout le monde se baladait quasiment à poil, et que quand même, la moindre des politesses, c'était de prêter attention à ce qui se passait autour de moi.

— Il est temps, Frères et Sœurs Olympiens, d'accueillir parmi nous notre nouveau membre, j'ai nommé Simon Brodsky, écrivain dont la renommée a traversé les frontières et qui nous rejoint auréolé d'une gloire mille fois méritée. Ses romans, ses nouvelles, sa poésie sont des joyaux qui seront bientôt classés au patrimoine mondial de l'Humanité. Mais tout cela n'est pas un hasard, car Brodsky est bien plus que Brodsky : il est notre Frère, depuis toujours, et jusqu'à ce jour il l'ignorait. Comme avant la Grande Révélation chacun d'entre nous ignorait sa véritable nature… Oui, Lioubov, tu ignorais toi aussi que tu étais fils de Zeus ; et toi, Radagast, tu ignorais que Hadès fut ton père… Inanna, fille d'Artémis, Lizzy, fille d'Athéna ; et toi, Charline, la plus belle d'entre toutes puisque fille d'Aphrodite. Toutes et tous ici présents êtes les filles ou les fils d'un de nos magnifiques ancêtres olympiens, et à ce titre vous avez reçu tous les dons de vos illustres aïeux. De qui es-tu le descendant, Simon Brodsky ? Voici venu le moment de le savoir !

Là, j'avoue qu'il était fort, le bougre. Même si c'était une histoire à dormir debout, faut avouer que c'était bien raconté. Bon, fallait juste être totalement ignorant pour tomber dans le panneau. Juste un truc, comme ça, qui ne tenait pas debout deux secondes : fille d'Artémis ? Hé-hé… cette conne était pucelle. La fille d'Artémis, c'était aussi crédible que le fils de la Vierge Marie… Mais c'est comme ça : les religieux adorent les vierges. Et les autres adorent les verges… Moi, je me suis toujours méfié des vierges adorant les verges, surtout la mienne. Elles se ruent là-dessus comme des affamés sur un MacDo et te l’attrapent à pleine main comme s'il s'agissait d'un vulgaire bâton de berger. Sauf que même si elle est énorme, dure et ferme… elle est sensible, et VIVANTE, merde ! Faut être gentil avec elle, lui parler doucement, avoir des mots délicats… Bref, seules les femmes d'expérience savent VRAIMENT se servir d'un braquemart comme le mien. Je possède comme qui dirait la Rolls des quéquettes, et une Rolls, ça ne se conduit pas comme une Simca 1000.

On apporta une urne noire sur l'autel, et le chevalier du Lac y enferma mon testament. Puis il le présenta en offrande à l’Œil Coquin au-dessus de lui et entama une étrange psalmodie du type « Sikanjav' encetur ecule komen komen komen vetuq uejeten Kull. » Une langue inconnue pour moi qui ne parle que le français ; j'optai pour le grec. Du grec très ancien…

— Ô Œil Coquin, Oracle des Oracles, Protecteur Intransigeant de la Sainte Charte, Toi qui vois tout, Toi qui sais tout, peux-Tu nous dire de qui Brodsky est le fils bienheureux ?
— Oui, je le peux.
— Nous T'écoutons, ô Œil Coquin, incarnation de la Sagesse, du Discernement et de la Compassion.
— Brodsky est bien le fils d'un Olympien… Et pourtant, je sens quelque chose d'étrange en lui.
— Parle, ô Œil Coquin, Toi qui possèdes la Science Infuse et un iPhone 8.
— Je fonde mon oracle à partir de son ADN. Sur les traces qu'il a laissées sur le papier et le sang avec lequel il a écrit. Or, les choses ne sont pas claires. Certains éléments le définissent comme le fils d’Apollon, mais d'autres comme celui de Dionysos.
— Comment cela est-il possible, ô Œil Coquin, Toi qui gouvernes le Soleil et gares ta Mercedes sur les passages cloutés ?
— J'ai trouvé ! Brodsky est le descendant du produit d'une partouze olympienne, certainement celle ayant eu lieu en l'an 2598 avant le fils du dieu fasciste, et dont tous les poètes ont parlé, jusqu'à Victor Hugo.
— Nous pouvons donc désormais appeler Simon Brodsky par le nom de Frère ?
— Vous le pouvez, car il est écrit : « Ce qui n'est pas Hors Charte est accepté au sein de notre Confrérie. »

Un tonnerre d'applaudissements retentit soudain. Tout le monde était debout et criait quelque chose que l'écho de la salle m'empêchait de bien comprendre… Petit à petit cependant, cela finit par être clair : mes nouveaux Frères criaient « LE CHOIX, LE CHOIX, LE CHOIX… » Le choix de quoi ?
Ce fut alors au tour de Radagast de s'emparer du micro :

— Frère Brodsky, voici maintenant le moment que tous ici attendent. Nos trois initiatrices vont venir vers toi et te proposer de te guider durant un an. Tu apprendras avec celle de ton choix tous les secrets de l'Amour, et ton orientation sexuelle sera ainsi totalement épanouie. Les voici qui s'avancent vers toi… Écoute-les bien, et fais ton choix.

Inanna s'approcha la première. Elle était plus belle que jamais dans son petit voile vaporeux. On pouvait au travers deviner la douceur de ses petits seins lourds qui pointaient et réclamaient les caresses de mes mains.

— Choisis-moi, Brodsky, et tu seras heureux. Je t'apprendrai ce qu'est l'amour d'une femme. Tu sauras ce que signifie être choyé par une amante, être câliné par une femme qui se dévouera à ton bonheur, qui apportera le bonheur dans ton foyer, et auprès de laquelle tu pourras vivre éternellement heureux.

Étrange… À aucun moment elle n'avait parlé de faire des pirouettes, et pourtant elle avait touché une corde sensible. Ouais… C'est vrai que je commençais à en avoir ma claque de courir d'une gonzesse à l'autre, de me faire larguer par des dindes, posséder par des grues, ou de me faire chier avec des connes dont la superficialité était ce qu'elles avaient de plus profond. Inanna me proposait somme toute une vie plan-plan, assis dans mon canapé à regarder des films à la con en me prélassant avec ma bière… Ça avait l'air très bête, et pourtant, dans sa manière de le vivre, cela ressemblait quand même sacrément à du bonheur.
C'est alors que Lizzy se planta devant moi sur ses 14 centimètres de talons aiguilles :

— Cesse de réfléchir, mon pauvre Brodsky, et viens te soumettre à la caresse de mon fouet. Avec moi, tu découvriras combien l’obéissance est reposante, et combien il est facile de jouir dans la souffrance. Je suis une Déesse insatiable, et je ne serai jamais satisfaite de tes pitoyables performances. Tu ressembles à un tigre, et j'aime dompter les bêtes sauvages. Je te promets des jours entiers de jouissances… Agenouille-toi, esclave !

Oups… Elle me défiait, cette conne ! J'avais bien envie de répondre au défi. On se serait battus, et pas sûr qu'elle aurait gagné. Franchement, ça me démangeait d'aller voir ça de plus près… Des journées entières de jouissances, pendant un an… putain, j'étais venu pour ça ! Elle avait raison, la démone : Ne jamais perdre de vue son objectif.
Ce fut alors au tour de Charline de prendre la parole :

— Viens, Brodsky… Je t'apprendrai l'amour. La douceur de nos corps qui se mélangent, ma langue fouillant ta bouche avec avidité, tes doigts caressant ma chatte, mes ongles griffant ta peau… Je ferai de tes nuits des feux d'artifice, et de tes jours un océan de caresses et de tendresse… Sens comme je sens bon, Brodsky, vois comme ma peau est douce… Tu n'as jamais connu l'amour, le vrai, celui qu'on ne vit qu'une seule fois. Je te l'offrirai. Pendant une année entière… et jamais tu n'oublieras.

Putain, là, j'avais la totalité du corps en éveil… Envie de la bouffer toute crue, là, comme ça, devant tout le monde. Je sentais les effluves de son parfum… J'avais envie d'elle… J'ouvris la bouche pour répondre quand soudain une voix résonna dans ma tête :

Allô Brodsky, c'est Hank.

— Hein ?

Ferme ta gueule et pose pas de questions. Tu peux pas me voir mais je suis là. Pour répondre, contente-toi de penser. Compris ?
Ouais…
Te fais pas couillonner, « Frère ». Le piège, c'est ça.
C'est quoi ?
Le choix. Rappelle-toi Pâris, les trois salopes et la pomme d'or ; ça débouche sur quoi ?
Sur la guerre de Troie.
Ben ouais, mon pote. Si tu en choisis une, tu auras les deux autres sur le dos… et elles te pourriront la vie.
Ça n'a pas l'air d'être le cas pour les autres…
T'en sais rien, mec… Pourquoi tu crois qu'elles sont toujours collées l'une à l'autre ? Elles se détestent, je te dis.
On pourrait peut-être arranger ça…
Comment ?
Laisse-moi faire, j'ai mon idée…
NOOOON, Brodsky, tu vas encore faire une connerie ! Ne fais rien, tu entends ? Ne fais ri…

bip-bip – fin de communication – bip-bip

— BRODSKYYYYY !

Je me retournai vers Radagast et levai la main pour prendre la parole, qui bien entendu me fut donnée immédiatement. Toute l'assistance était suspendue à mes lèvres… C'était pas si souvent ; j'en profitai un peu.

— Ô, Grand Radagast, puis-je faire une requête ?
— Nous t'écoutons, Frère Brodsky.
— Eh bien, l'Œil Coquin a affirmé que je portais en moi les gênes de plusieurs Olympiens, ce qui rend par définition mon orientation sexuelle difficilement contrôlable. Or, chacune de ces trois Déesses ne peut m'offrir qu'une facette de l'amour, ce qui suffit, je l'admets, à la plupart d'entre nous. Mais… un Olympien n'a pas le droit d'échouer. Et choisir l'une d'entre elles serait inévitablement courir à l'échec.
— Et pourtant, Frère Brodsky, la Sainte Charte de notre Loge est claire : tu ne peux pas refuser cette année d'initiation.
— Je ne refuse pas, Frère Radagast.
— Alors laquelle choisis-tu ?
— Je choisis les trois.