Olaf de Sinope VI

De mémoire de satyre, on avait rarement vu autant de belles gonzesses réunies en un seul lieu. Des brunes, des blondes, des rousses, des chauves, des petites, des grandes, des rondes, des longilignes, et surtout toutes étaient à poil. Enfin, presque. Juste vêtues d'un pagne en feuilles de vigne… Et toutes allaient et venaient à leurs occupations au milieu d'un champ perdu au beau milieu de nulle part.

Quelles occupations ?

Toutes celles qui incombent à une petite communauté organisée ayant décidé de vivre à l'écart du monde et de la civilisation. Aucune trace du monde moderne dans cet environnement, si ce n'était l'épave d'une vieille voiture de laquelle s'échappaient des cris et des gémissements. Une forte buée déposée sur les vitres empêchait tout regard inquisiteur d'y pénétrer. Et pourtant, les trois pucelles qui se trouvaient à quelques mètres de là la regardaient avec une sorte de fascination à laquelle se mêlait une forme subtile de jalousie.

— Tu crois qu'il en a encore pour longtemps ?
— Va savoir… avec lui, les choses sont variables et surprenantes. Parfois c'est réglé en trois minutes, et parfois…
— Oui… Là, ça fait quand même deux heures !
— Ils vont péter les ressorts s'ils continuent comme ça…

Un cri plus proche du rugissement du tigre que de celui d'un mortel atteignant l'orgasme retentit soudain, stipulant à l'assemblée que le Maître allait bientôt réapparaître. Toutes les naïades se rassemblèrent alors devant la voiture comme les fidèles des églises devant l'autel, ces dernières dans l'attente du curé, les premières dans l'attente de leur Guide.

La portière arrière s'ouvrit, et IL descendit, le visage fermé comme toujours, titubant un peu à cause de l'effort titanesque qu'il venait d'accomplir. Il était pour sa part totalement nu, une bedaine impressionnante surplombant un sexe d'âne également impressionnant, les cheveux blancs, hirsutes, la barbe mal (ou pas du tout, d'ailleurs) taillée… Le chœur des fidèles se mit alors à psalmodier :

GLOIRE À TOI, Ô OLAF DE SINOPE, SIXIÈME DU NOM !
GLOIRE À TOI, Ô NOTRE MAÎTRE
GLOIRE À TOI, Ô PHARE DE LA PENSÉE, GUIDE SUPRÊME DE NOS ÂMES
NOUS TE LOUONS, NOUS TE GLORIFIONS, NOUS T'ADORONS
ENSEIGNE-NOUS LA VOIE, Ô OLAF DE SINOPE VI

D'un geste de la main, le Guide réclama alors le silence. Son regard pénétrant se posa sur chacune des nanas du premier rang, et il commença à parler d'une voix de tonnerre :

— Mes Sœurs, les temps sont venus ! Depuis des millénaires, je cherche l'Homme, et je ne le trouve point. L’Homme n'est pas, et il ne pourra être tant qu'il marchera la tête basse et le dos courbé devant les dieux. Or, ce vingt-et-unième siècle est le siècle des dieux. Dieux de toutes sortes, aussi tyranniques que cruels. Le dieu des monothéistes, qui se prétend unique et refuse de partager son pouvoir usurpé avec les autres, qui a réduit la Terre et le Cosmos au néant. Les dieux olympiens, pervers polymorphes, dont les héritiers ne sont plus que de pervers pépères. Et les dieux fabriqués par les hommes, parmi lesquels La Main Invisible des Marchés qui régit la finance et soumet les humains à un esclavage pire encore que tous les autres. En vérité, mes Sœurs, je vous le dis : j'ai cherché l'Homme et ne l'ai point trouvé… Mais je vous ai trouvées, vous, les Femmes ; et c'est par vous que ce monde sera sauvé. Le temps est venu pour vous de prendre le pouvoir !
— Mais, ô Olaf, notre guide, n'es-tu pas toi-même un homme ? N'es-tu pas l'Homme que tes ancêtres et toi ont cherché si longtemps ?
— Je ne suis qu'une voix qui cherche La Voie ; mais vous êtes, vous, cette Voie, ô femmes.
— Tu dis que nous devons prendre le pouvoir, mais continueras-tu à nous guider, ô notre Maître ?
— Je serai votre Guide, mais je ne serai plus votre Maître. Je parlerai aux hommes, mais désormais je le ferai en votre nom.
— Mais continueras-tu à te donner à nous, ô Olaf de Sinope VI ?
— Tu as dis le mot juste, mon enfant : je me donne à vous, de tout mon être, de tout mon corps, de toute la force de mon membre. Je ne vous prendrai plus : désormais, je vous laisserai décider de l'heure, et du jour, et du lieu, car votre éducation est faite.
— Mais alors, ô Vénérable Olaf, qui nous gouvernera désormais ?
— Celle à qui j'ai décidé de passer le flambeau, et que j’investis en cet instant de tous mes pouvoirs.
— Qui ça, ô Olaf, notre Maître ?

La seconde portière arrière de la voiture déglinguée s'ouvrit enfin, et une superbe blonde d'environs un mètre quatre-vingts perchée sur de sublimes échasses en descendit en titubant. Olaf se tourna vers elle et déclara :

— Voici celle qui désormais dirigera notre communauté. Gloire à Toi, ô Inanna, nouvelle reine des Amazones !

Inanna s'avança sous les applaudissements, les jambes écartées et titubant encore un peu. D'un geste brusque elle ôta ses cheveux blonds qui cachaient une tignasse d'un roux flamboyant.

— Merci, Olaf, il était temps ; j'en avais marre de ce postiche. La perruque blonde, ça commençait à me gratter un peu la tête…


Eh oui, mes zamours, je suis bien conscient que cette entrée en matière peut surprendre un peu ; mais bon, avouez quand même que ce genre de mise en bouche avec la môme Inanna aux commandes, c'est quand même assez excitant… Mais, me direz-vous, qu'est-ce qu’Inanna vient foutre ici en reine des Amazones, aux côtés d'un avatar de Diogène ? Et puis surtout, pourquoi Olaf dans le rôle, dans la mesure où chacun sait que ses tonneaux, à Olaf, sont remplis de picrates de toutes sortes et sont planqués dans sa cave ? Mais voilà, nous sommes au début de la saison 2, et il convient d'apporter un nouveau souffle à votre série préférée.

Bon, pour les rares lecteurs qui seraient passés à côté de la saison 1 et pour ceux qui auraient eu la flemme de lire le résumé des épisodes précédents, nous allons faire un bref résumé de la situation.

Convaincu par les arguments de Lioubov, le Grand Maître à vie de la Loge Olympienne et surtout par les beaux yeux de Charline, ses lèvres gourmandes, ses nichons sublimes, plus un tas de petits trucs dont elle a le secret, j'ai accepté de rejoindre leur confrérie, accompagné par mon ange gardien revenu du purgatoire pour veiller sur votre héros vénéré, j'ai nommé, Hank, alias le Vieux, alias Chinasky, alias… Henry Charles Bukowski en personne.

À peine arrivé, j'apprends qu'Athanagor s'est fait dessouder, et qu'il n'était pas le premier. Comme j'écris des polars, on décide que je mènerai l'enquête, accompagné en outre de Charline, Lizzy et Inanna… Pendant que Hank se rend en enfer pour essayer de retrouver Athanagor sans succès, je me fais empapaouter par la redoutable Daphné Pink qui a dans l'idée de remplacer son clébard par ma pomme. Elle confie à deux têtes pleines d'eau le soin de s'occuper de mon dressage, sauf qu'au dernier moment Hank et les filles débarquent et me sortent de là.

Après un brainstorming vitaminé à la turlute, nous décidons que Hank se lancera à la poursuite de la Pink Panthère tandis que Radagast m'ouvrira les portes des enfers olympiens, où normalement devrait se trouver Athanagor. Et les filles, dans tout ça ? Ben je dois vous dire, mes zamours, qu'on les a perdues de vue quelque temps… Alors, au moment où débute cet épisode, vous apprenez, ô lecteurs de mon cœur, qu’Inanna fricote avec Olaf de Sinope VI, et vous en savez plus que Hank et moi, parce que nous, sur ce coup… ben on est totalement aux fraises, comme disait Grouchy, qui selon la légende bouffait des fraises au lieu de marcher au canon pendant la bataille de Waterloo ; collation innocente s'il en est, mais qui a changé la face du monde. « Petites causes, grands effets ! » comme disait ma grand-mère…


Ma descente aux enfers, donc…

Radagast m'avait conduit dans les sous-sols de la Loge, devant une petite porte en bois qui ne payait pas de mine. Il l'avait ouverte avec une petite clef en forme d'étoile à cinq branches et m'avait accompagné dans un souterrain jusque devant un escalier de pierre en colimaçon totalement plongé dans le noir. Il alluma une torche…

— Euh, Rad', on ne peut pas prendre une torche électrique ?
— Hein ? Si, bien sûr ; pardonne-moi, je n'y avais pas pensé…
— Vous avez vraiment le goût du gothique, les mecs…
— Ben tu sais, on reste quand même vachement attaché à la Tradition… Mais tu as raison, je vais aller te chercher une lampe.
— Pendant que tu y es, ramène-moi des croquettes pour chien.
— Des croquettes ?
— Pour Cerbère… Le clebs, il ne bouffe qu'une fois tout les mille ans : pas étonnant qu'il soit féroce… Un paquet de Frolic et une boîte de Canigou, je suis sûr que lui et moi on va devenir potes.
— C'est pas con… Tu as des pièces, pour Charon ?
— J'ai un bifton de cinquante euros…
— Ah ouais… Une fois, y a un con qui a voulu lui faire un chèque…
— Et ?
— Et il attend toujours pour son embarquement.

Radagast revint avec une lampe, une boîte de Frolic et un os en buffle.

— Je suis désolé Brod', je n'ai pas trouvé de Canigou.
— T'inquiète, ça ira, mon Frère…
— Bonne chance, Brodsky.


Comme prévu, Cerbère et moi sommes devenus les meilleurs amis du monde. Il remuait la queue quand je l'ai quitté, et j'ai eu droit à une léchouille à trois langues. Il puait grave de la gueule, le pauvre, et je me dis que la prochaine fois il faudrait que je descende avec un truc pour l'haleine des chiens.

Charon a pris le billet sans dire un mot, l'a retourné dans tous les sens en pensant à une arnaque, puis son visage s'est illuminé d'un sourire sans dents. Il m'a fait monter dans sa barque pourrie et on est partis.

— Ça fait combien de temps que tu fais ce taf ? j'ai demandé, histoire de passer le temps.
— Environs 5 000 ans, qu'il m'a répondu.
— Ça rapporte ?
— Pas trop… Mais je dépense rien.

Je le regardai de sa tête hirsute à ses pieds dégueus : c'était sûr, il ne dépensait rien. Même moi, j'étais mieux sapé. « Faudrait que tu penses à ta garde-robe. » m'avait dit Charline avant que je parte. J'avais répondu que c'était pas la peine, dans la mesure où je portais pas de robes… Elle m'avait traité de macho, puis elle avait boudé. Alors, j'avais promis. Là, je me disais que j'aurais dû l'emmener avec moi. Elle aurait vu ce que c'était que des « fringues d'enfer ».

— Tu sors jamais d'ici ?
— Pour faire quoi ?
— Ben, je sais pas moi… Aller au ciné, draguer les gonzesses…

Il me regarda d'un œil torve.

— Vous avez vraiment des passe-temps idiots, vous, les humains !
— Attends, Charon, ne me dis pas que depuis tout ce temps…
— Quoi ?
— Les gonzesses, merde !
— Quoi, les gonzesses ?
— Tu es encore puceau ?
— Je ne comprends pas ce que tu veux dire, Brodsky…

Je laissai tomber.

Pour la description des enfers, je vous laisse vous démerder avec Dante qui l'a fait de façon magistrale. Pas envie de répéter… Disons que c'est moche, sordide, que ça suinte l'angoisse, la tristesse et le désespoir… Et que chez les Grecs, y a que ça. Pas de paradis, ni de purgatoire. Pas étonnant que les clients aient fini par émigrer ailleurs en fin de compte. Dans le genre religion sans espoir, là, on était dans le top du top. Et puis surtout, il faisait froid… Bref, c'est avec une satisfaction certaine que j'arrivai à la fin de la traversée.

Une silhouette nous attendait sur la rive, qui nous fit de grands signes de la main. Je n'en crus pas mes yeux, mes zamours ! Athanagor en personne nous attendait…

— Descends pas, Brodsky, c'est moi qui monte…
— Hein ? dit Charon, c'est quoi ce bordel ?
— Ton Boss a dit que j'avais le droit de remonter, répondit Athanagor. Tiens, voilà mon bon de sortie.
— Mais… c'est jamais arrivé !
— Ah ouais, dis-je subtilement, et Eurydice ?
— Elle est revenue vite fait.
— Ouais, mais lui, non. Je me suis arrangé avec le fils du Patron.
— Putain d'époque, répondit Charon, et putain de fils à papa…
— Oh dis donc, tu veux que je fasse un rapport, le vioque ?
— Euh non, ça va…
— Non, ça va pas. Ramène-nous fissa de l'autre côté et rends-moi mes cinquante euros. De toute façon, t'en as pas besoin.
— Quoi ?
— Sinon je dis au fils d'Hadès que tu l'as insulté ; et crois-moi, ça va chier pour ton matricule !

Je récupérai mon flouze et nous repartîmes dans l'autre sens.

— Alors, Frère Athanagor, tu adores toujours ce que je fais ?
— Tu m'étonnes… Cela dit, j'aurais bien aimé que tu charmes le maître des lieux avec une de tes chansons.
— Ouais… Mais non ; ça, je le sentais pas trop…
— Pourquoi t'es venu me chercher ?
— On va en discuter, mais pas ici ; et pas en arrivant, c'est trop risqué. Faut que je te mette au vert, dans un coin bien tranquille.
— Ces Messieurs sont arrivés, déclara Charon mielleusement en se courbant comme un valet de Molière. Et s'il vous plaît, Monsieur Brodsky… Pas de rapport… S'il vous plaît…

On est descendus sans un mot, Athanagor et moi, hautains et méprisants, et on l'a laissé dans les affres du doute. Je sais, lecteurs de mon cœur, c'est pas bien, c'est pas gentil, c'est cruel… Mais qu'est-ce que c'était bon !