Premiers ébats

Où, après une attente interminable, le lecteur pourra assister aux premiers ébats de nos héros, mais en sera pour ses frais dès lors que sera abordé l'épineux problème de la sodomie.

Bon, ça a couiné un peu, je ne vais pas vous le cacher ; mais une fois interrogé l'Œil Coquin sur ce que préconisait la Sainte Charte, ma requête fut acceptée. Et là, lecteur de mon cœur, tu te dis que ça y est enfin, il était temps : on va parler de cul, je vais pouvoir te narrer une de ces scènes qui te font baver et pour lesquelles tu squattes les locaux de la taule du soir au petit matin. Moi aussi, je me disais ça… Je frétillais dans mon calbute, prêt à dresser les couleurs, à charger tel un lancier du Bengale et à défoncer toutes les portes de châteaux-forts, tous les bunkers allemands, tous les coffres-forts suisses et toutes les petits chattes en chaleur qui commettraient l'imprudence de miauler en admirant mon totem sans tabou.

Hélas, je vis alors arriver Lioubov accompagné d'un gus étrange ressemblant à l’acteur Philippe Léotard, au regard pénétrant et intelligent (ce qui laissait entendre qu'il ne pénétrait pas partout sans permission), et qu'il me présenta sous le nom de HPS.

— Ah, Monsieur Brodsky, quelle joie de vous rencontrer, s’exclama-t-il en me broyant la main, j'adore tout ce que vous faites !

Alors là… Si vous saviez le nombre de gens qui adôôôôrent ce qu'on fait mais qui sont incapables de savoir si vous êtes écrivain ou footballeur ! Il commençait mal, le HPS… En plus, il m'avait broyé la main. Je déteste les gens qui se croient obligés de vous réduire les articulations en poudre sous prétexte de vous montrer qu'ils sont chaleureux. En réalité, ils essaient juste de vous impressionner, de montrer leurs muscles, de faire un peu viril… Et ça, mes zamours, être à ce point démonstratif, ça cache toujours quelque chose.

— Moi aussi, répondis-je.
— Hein ? Vous me connaissez ?
— Non. Je veux dire : moi aussi, j'adore ce que je fais. J'ai toujours voulu être un écrivain reconnu, célèbre, adoré par les gens intelligents, désiré par les femmes, détesté par Télérama et ses abonnés ; c'est quand même plus bandant qu'être informaticien, vous ne trouvez pas ?
— Euh…

Bon, j'avoue que là, j'avais été un peu limite. Je savais qu'il était informaticien et qu'il faisait partie du Comité de Direction de la boîte. Il avait retardé la parution d'une de mes nouvelles, un jour, après en avoir compté le nombre de signes. Et comme je m'en agaçais, quelqu'un m'avait répondu « Oh, tu sais, HPS, il est comme ça. Cool, mais rigoureux… Déformation professionnelle : il est informaticien. » Alors forcément, le mec se pointe, me dit qu'il adôôôôre ce que je fais en me broyant les articulations, et pan, faut que je me rebiffe.

— Sincèrement, qu'il reprend, vous écrivez des chansons remarquables. Mais je trouve que vous devriez essayer de les chanter vous-même.
— Hein ?
— Ouais… Je vous vois assez bien avec une guitare et un chapeau, genre Danyel Gérard dans les années 60. Bon, ça fait pas « jeune », bien sûr, mais ça vous irait bien.

Putain d'enfoiré ! Où donc a-t-il été péché ces informations ? Parce que oui, j'ai fait des essais et des maquettes de chansons, déguisé avec un chapeau sur la tête. Mais ce sont des trucs secrets, des vidéos planquées dans les limbes de la toile… Protégés par des codes et des mots de passe du genre xfretyudh45%%grat. Et si cet enfoiré a pu y accéder, il a peut-être également pu visionner mes sextapes avec différentes stars du X, que j'avais tournées juste pour emmerder Rocky Siffredo qui prétendait qu'il était impossible d'honorer plus de cinq femmes en moins de vint minutes par moins 30° dans les montagnes de Sibérie.

On avait donc monté une expédition avec une équipe de tournage, six filles canon – dont la propre femme de Rocky – et on lui avait montré ce qu'était capable de faire un étalon made in France. Mais bon… Tout ça, c'était avant ; et surtout, c'était privé ! Imaginer que le HPS en question ait pu se rincer l’œil, et surtout commencer à constituer un dossier sur ma petite personne, ça filait des frissons.
On s'est défiés du regard… Le sien pétillait de malice. Il était sûr de lui. Mouais… « Un point pour toi, mon bonhomme. Mais tu ne perds rien pour attendre. »

« Bon, dis-je à moi-même (car je me parle souvent à moi-même : j'adore ma conversation, même si parfois je m'engueule un peu pour cause de désaccord interne. Jules César faisait ça, et Machiavel aussi, et madame Trocmé, ma concierge ; mais elle, personne ne la connaît, ce qui est injuste. Mais la vie est injuste…) »

Où en étais-je de toutes ces conneries… Ah oui : « Bon, dis-je à moi-même, maintenant qu'on m'a présenté le Docteur Mabuse, alias HPS, alias le méchant de l'histoire, on va peut-être pouvoir passer aux choses sérieuses… » Que nenni, lecteurs de mon cœur, car c'était désormais l'heure des agapes.

Ça a duré des heures… Il a fallu boire du nectar et de l'ambroisie, avaler des feuilles de vigne, du tsatsiki et danser le sirtaki… Puis, surprise, le barde Favasso a pris sa lyre et nous a chanté Le grand incendie de Rome de Caius Aénobarbus Néron version Peter Ustinov dans Quo Vadis : « Ohoooo, turbulentes flaaaames… Ohoooo, ô Forces Divines… » Forcément, la comtesse de Mortecouille a voulu rapper, et on a eu droit à sa poésie urbaine : « Oh z'y va, t'en va pas, r'garde-moi, qu'est-ce que t'as, passe une teuf, y a ma meuf, chez les keufs… » Et ça a duré comme ça pendant des heures, et des heures, et des heures…

Le vin, plus la fatigue, plus les émotions, plus les nuits blanches précédentes, toutes ces nuits blanches passées à écrire ces putain de bouquins que tu adores, ô lecteur, ô tyran, tout cela faisait que je commençais vraiment à avoir envie de m'endormir… Je n'étais pas le seul, d'ailleurs ; certains même ronflaient déjà, allongés sur les sofas et les canapés mis à disposition, le tout dans un décor d'orgie romaine où tout était crédible, remarquablement proche de la réalité historique, sauf qu'on baisait pas… J'ai fermé les yeux.


Quand je les ai rouverts, j'étais dans mon lit, seul, dans la chambre qu'on avait mise à ma disposition dans la maison au bord du lac du Coucou. Seul ? Enfin, pas tout à fait : Hank était là, qui me regardait, assis dans un fauteuil, une bouteille de sky à la main.

— Ça va, Brodsky, t'as bien dormi ?
— Mouais, Hank… Il est quelle heure, dis-moi.
— Pas loin de 17 heures. Et elles vont pas tarder à rappliquer.
— Qui ça ?
— T'as déjà oublié ? Tes trois femmes, crétin ! Une, c'est déjà trop ; un an, c'est déjà trop long. Mais toi, il faut que tu signes pour trois casse-couilles à l'année. Mais qu'est-ce que t’as dans le crâne, putain !
— Ben, on va s'en payer une bonne tranche, toi et moi…
— Ouais, bien sûr, tu vas te taper les trois, et moi je vais zieuter et m'astiquer le poireau en te regardant. Ensuite, quand t'auras les valseuses lourdes comme des balles de ping-pong, tu seras crevé et tu viendras pleurnicher que t'arrives pas à écrire.
— T'es vraiment qu'un sale con, Hank… Et ingrat, en plus…
— Ingrat ? Putain, mais j'en ai rien à foutre de ce que tu penses, petit !
— Arrête ton char deux minutes et écoute-moi un peu : y en a deux pour toi.
— Deux quoi ?
— Sur les trois gonzesses en route pour mon pieu, y en a deux pour toi.
— Mais qu'est-ce que tu racontes encore ?
— Hank, quand tu m'as averti pour l'histoire de la pomme que Pâris avait offerte à Vénus, je m'apprêtais à faire la même connerie que lui. Elles sont toutes les trois canon, mais la seule qui me fait envie, c'est Charline. Or, je ne pouvais pas la prendre, elle, et me mettre les deux autres à dos, c'est toi qui me l’as dit.
— Et alors ?
— Et alors je me suis dit : prenons les trois, et offrons-en deux au Vieux Dégueulasse ; il sera content.
— C'est vrai ? C'est à moi que tu as pensé ?
— Ben ouais, ça t'étonne ?
— Tu as trois déesses devant toi qui se battent pour pouvoir baiser avec toi, et la seule personne à qui tu penses à ce moment-là, c'est moi ?
— Ben ouais, mon vieux. Tu es le seul à être toujours là pour moi, depuis l'âge de vingt ans… Tu ne m'as jamais quitté… Tu es le seul à être resté fidèle… Quelque part, Hank, tu es mon seul véritable grand amour.

Le Vieux essuya une larmichette au coin de son œil gauche et vint me serrer dans ses bras. Je me rendais compte de la drôlerie de la situation : lui et ses pans de chemise au-dessus de son futal, et moi juste en calbute à peine sorti du pieu. N'importe qui nous surprenant comme ça nous aurait pris pour deux vieilles tantes. Et bien sûr, c'est justement à ce moment-là que les drôlesses décidèrent de montrer le bout de leur nez.

— C'est quoi, cette vision d'horreur ? s'écria Inanna.
— Les filles, j'ai l'honneur de vous présenter Hank, alias Chinasky, alias le Vieux Dégueulasse, alias, Buk, alias mon ange gardien. Mesdames, Henry Charles Bukowski en personne !
— Arrête un peu de te foutre de nos gueules ! répondit Charline. Bukowski est mort depuis longtemps.
— Hé, la souris, tu as lu mes bouquins ? s'énerva le Vieux d'entrée de jeu.
— J'ai lu Bukowski, si c'est la question.
— Donc tu sais parfaitement que lorsqu'on écrit, tout est possible, même la résurrection d'un mort.
— Je ne vois pas où vous voulez en venir…
— Tout simplement que ton Créateur, un mec génial, plus grand que Brodsky, plus grand que toi, que tous vos putains de dieux de l'Olympe, un mec qui est quasiment mon égal pour ce qui est d'écrire des conneries, a décidé qu'ici, au milieu de ces personnages qui peuplent votre monde, DANS CETTE SÉRIE, je ferai partie des personnages principaux.
— Hum…
— Hum-hum, Madame la philosophe !
— Pourquoi m’appelez-vous comme ça ?
— Euh, repris-je afin d'éteindre le feu, il est en train de mélanger plusieurs univers parallèles en même temps.
— Attends, Brodsky, je ne me trompe pas ? Charline, c'est bien…
— TA GUEULE, HANK !
— Bon, quand vous aurez terminé vos private jokes à la con, on pourra peut-être continuer cette histoire.
— Euh… Lizzy, fais pas celle qui sait pas…
— Bon, on peut savoir ce que Bukowski fout ici, nom de Zeus ? cria Inanna.
— Il est là pour vous.
— Quoi ?
— Les filles, ne le prenez pas mal, surtout… Mais je ne pouvais en choisir qu'une parmi vous, pour des tas de raisons. Et pourtant, j'avoue, vous me faites kiffer grave toutes les trois. Alors, je me suis dit que pour les deux autres, mon copain Hank serait quand même mieux qu'un lot de consolation… Inanna, Lizzy, il est tout à vous.

Hank se leva, tenant la bouteille de sky dans sa main gauche et effectua un salut de théâtre avec le reste du corps. Elles lui sautèrent dessus comme des harpies sur leur proie ; en moins de trois secondes, elles eurent ôté chemise et pantalon et Inanna se mit à jouer du pipeau tandis que le minou de Lizzy s'offrait à la bouche avide de mon pote. Pendant que je contemplais la scène, je sentis la main de Charline prendre la mienne.

— Et nous, beau gosse ?
— On va les laisser s'amuser tous les trois ; sortons donc faire un tour…


La veille au soir, durant les agapes, je n'avais eu qu'une seule obsession : tringler Charline. Mais en cette fin d'après midi, je n'avais plus qu'une envie : la contempler. Ouais, tu peux lâcher ton machin, lecteur de mon cœur, et le refoutre dans ton pantalon. On n'est pas des animaux, merde ! Et puis je vais te dire : Charline est si belle, ses yeux tellement limpides, son corps tellement fin, sa peau tellement douce… que j'ai pas envie de te raconter. Le corps de Charline, l'âme de Charline, c'est mon refuge, mon sanctuaire. C’est sacré, t'entends ?

Bon, c'est vrai qu'à ce moment de l'histoire, je n'en étais pas là. J'étais juste en train de commencer à tomber amoureux. Et c'est marrant, mais à partir du moment où ce genre de sentiment commence à nous envahir, ben on a bien du mal à continuer de frimer, de jouer les cadors, de se la péter… C'est bien ça, le drame ! Je me la pète, je la fais rire, je joue les machos, je la rassure… Je tombe amoureux, je commence à la faire chier, à devenir collant comme un sparadrap… Bref, le mec amoureux, ça devient vite un boulet. Et un boulet, on cherche toujours à s'en débarrasser. Voilà en trois lignes expliqué la complexité des rapports entre les hommes et les femmes. Je savais tout ça quand j'ai flashé sur Charline, alors je me suis dit « Brodsky, mon petit vieux, fais gaffe : joue pas au con… »

On a fait le tour du lac en se tenant par la main. Je sentais bien qu'elle m'observait, qu'elle attendait que je parle un peu, mais je restais silencieux. J'avais besoin de silence, de calme, de paix, de nature. Je suis toujours comme ça au réveil : songeur, méditatif… J'engrange des forces pour après.

Quand nous sommes rentrés dans la maison, le spectacle était édifiant : Hank était à quatre pattes, le visage entier entre les cuisses d’Inanna tandis que Lizzy le prenait par derrière avec son gode-ceinture. J'éclatai de rire.

— Hé, Hank, tu connais l'histoire…
— Hummm, laquelle ?
— Trois homos qui s'enfilent, c'est quoi ?
— Hummm ?
— C'est l'anniversaire de celui du milieu.
— Hummm, j'suis pas… humm, humm, homo, Brodsky !
— N'empêche qu'on dirait bien que tu aimes ça…
— Hummm, ben tu devrais en faire autant… Tu serais, humm, moins coincé du cul.
— Ouais, sauf que le jour où j'accepterai un truc pareil, mon pote… Héééé !

Charline venait de glisser la main dans mon falzar, et son majeur commençait à me titiller la rondelle. Je tournai le regard vers elle et je tombai sur son regard. Un regard démoniaque et pervers qui n'avait plus rien de commun avec celui que je connaissais. Elle eut un ricanement :

— Tu disais, Brodsky ?

La suite, je peux pas la raconter…