Zgeg-storming

Où l'on verra Brodsky sauvé par la cavalerie, trois déesses se lancer dans un concours de pipes, et Radagast tester ses nouvelles machines orgasmiques.

J'ouvre les yeux. Un mal de crâne atroce… L'impression d'avoir arrêté un TGV avec ma tête. Un brouillard étrange, épais ; je vois rien devant moi, je me les gèle… Pas étonnant : je suis à poil, à même le sol. Je rassemble mes forces, me mets difficilement à quatre pattes, toujours vaseux… Je me relève ; enfin, je tente de me relever, mais je me cogne la tête au plafond. Le brouillard se dissipe un peu. Des barreaux… UNE CAGE… Me voilà enfermé dans UNE PUTAIN DE CAGE !
Je sens en moi monter une de ces colères dévastatrices dont peu de gens ont été les témoins jusqu'ici. Ça va chier, mes zamours, je vous promets que ça va chier !

J'entends ricaner derrière moi… The Pink Panthère.

— Alors, Monsieur Brodsky, votre nouvelle chambre ne vous plaît pas ? dit-elle en tirant sur son fume-cigarette.
— Encore en train de cloper ? Si vous saviez ce que c'est vulgaire, une femme qui fume…
— Tu feras moins le malin dans pas longtemps, Brodsky.
— Écoute, poupée, je voudrais pas casser ton plan ni détruire tes illusions, mais là, vraiment, tu es en train de te fourrer dans une sale histoire.
— Voyez-vous ça… J'ai plutôt l'impression que c'est toi qui t'es fourré dans la merde, Brodsky.
— Je crois pas, non. Tout le monde sait très bien où je me trouve, et les renforts vont pas tarder à arriver.
— Hé-hé-hé…
— Tu vas te faire embarquer pour le meurtre d'Athanagor, et certainement ceux des autres écrivains ; et quand tu sortiras de taule, tu seras dans un tel état que même la Mortecouille aura l'air d'une pucelle à côté de toi.
— Je n'ai rien à voir dans ces meurtres, Brodsky. Je te l'ai déjà dit, mais tu n'écoutes pas. Cela fait partie des choses que tu vas bientôt apprendre. Mais le plus important…
— Ouais, fais-moi rigoler…
— … c'est que tu as dormi longtemps. Et tu as beaucoup voyagé pendant ce temps. Et tu n'as pas la moindre idée de l'endroit où tu te trouves. Personne n'a la moindre idée d'où tu peux être, ni de ce que tu vas devenir.
— Et toi, ma jolie, tu n'as pas idée de la branlée que je vais te mettre dès que je sortirai de cette cage de merde !
— Ha-ha-ha ! Regardez-le s'énerver… Pauvre petite chose.
— Mouais… C'est ça… Rigole, pétasse !
— Bon, ça suffit ! Ton insolence dépasse les bornes ! Je m'en vais faire un tour.
— C'est ça, casse toi… Et fous-moi la paix.
— Je reviendrai te voir dans un jour ou deux, quand tu auras changé d'attitude.
— Compte là-dessus, cocotte…
— Je laisse le soin à Nick la Trique et Booba le Cobra de t'enseigner la politesse durant mon absence.
— Hein ?

Entrent alors deux types d'environ deux mètres de haut sur trois de large, le crâne rasé, tatoués de partout, torse nu, des bras comme mes cuisses, et le regard aussi expressif que celui d'une limande sur la glace du poissonnier d'un Simply Market.

— Il est à vous, Messieurs ; je compte sur vous pour lui enseigner les bonnes manières… dit la Pink Lady en sortant.

L'un des molosses se pointe devant la cage, ouvre la porte et me sort en me tirant par les cheveux.

— Salut, je dis… Alors toi, c'est qui ? La trique ou le cobra ?

Il me colle une droite et j’atterris contre le mur de la pièce.

— Ah, je vois ; elle vous a fait couper la langue et tu peux pas répondre, c'est ça ? Bon, si tu permets, je t'appellerai Boule… et ton frère, je l'appellerai Bill. Ça te va ?

Il balance sa gauche. J'esquive et lui file un grand coup de pied entre les jambes. Pas de réaction.

— Ah… Ça aussi on te l’a coupé ?
— Aaaaargh ! hurle-t-il en m'attrapant la gorge.
— Uuuurgh ! crie l'autre en brandissant un nerf de bœuf.

Et SBAM ! fait la porte en s'ouvrant et en cognant contre le mur.

— Hank ! Putain, vieux frère, tu arrives à temps !

Je profite que les deux crétins ont tourné les yeux vers lui pour choper leurs crânes d’œufs et les cogner l'un contre l'autre. SPOCK ! Les voilà un peu sonnés. Hank en profite pour aligner quelques gauches-droites à la Trique, suivies d'un uppercut magistral qui l'envoie aux fraises pour de bon. Mais le plus étonnant, mes zamours… ben oui : Inanna, Charline et Lizzy se sont précipitées en hurlant sur l'autre crétin et ont commencé à le griffer et à le mordre jusqu'au sang. Ça dure pas plus de deux minutes, et l'autre se retrouve à genoux en train de pleurnicher. Mais nos Olympiennes n'ont aucune pitié pour cette larve, et c'est sous les coups de fouet de Lizzy qu'il ira bientôt me remplacer dans la cage. Puis, alors que Hank et moi-même, les deux poings sur les hanches façon d'Artagnan et Aramis admirons le spectacle, elles se précipitent enfin vers nous. Charline me roule un magistral patin made in Olympe tandis que le Vieux prend ses deux groupies par les épaules en déclarant :

— Choisis la chambre que tu veux, Brodsky ; nous, on se contentera du sofa du salon. Il est temps qu'on se détende un peu pour se remettre de toutes ces émotions. Après, je te raconterai tout ce dont tu as besoin.
— Hank… Ce dont j'ai besoin, là dans l'immédiat…
— Oui ?
— Mes fringues !
— Pour quoi faire ? répond Charline en éclatant de rire.


— Donc, tu ne l'as pas trouvé ?
— Rien ! J'ai cherché partout, je t'assure… Aucune trace de Tentator, nulle part.
— Il n'est donc pas en enfer…
— Il n'est pas au purgatoire non plus, j'y suis passé. Pas de nouvelle entrée depuis plusieurs jours.
— Paradis ?
— Rien depuis des mois : l’Église est devenue vachement stricte, avec la crise.
— Quel rapport ?
— Les riches sont coupables de la pauvreté, donc exclus.
— Et les pauvres sont obligés de voler pour survivre, donc… Non-respect des dix commandements, leur Sainte Charte à eux.
— C'est n'importe quoi ! s'insurge Charline. Thomas d'Aquin a dit : « Tant qu'il y aura des pauvres, notre superflu est illégitime. »
— Et alors ?
— Et alors, Hank, si une possession est illégitime, voler n'est plus un crime.
— Je vois, Madame la Philosophe…
— Hank ! Ta gueule ! Arrête de la chercher !
— Je la cherche pas, je lui enseigne ; c'est différent.
— Tu enseignes la philo, toi ?
— Ben ouais… Socrate faisait ça dans la rue ; moi, je fais ça partout.
— Dans les bistrots, surtout.
— Oui Monsieur… Y a plus de philosophes dans les bars à putes que sur les plateaux télé, fourre-toi bien ça dans le crâne. Un philosophe, Monsieur, c'est un mec qui a vécu et qui sait de quoi il parle. Pas un mec qui vient se la péter devant les caméras avec un brushing impeccable et une chemise ouverte sur la poitrine en parlant de la guerre dans un pays où il n'a jamais foutu les pieds, ou alors avec toute une armée de GI pour protéger ses miches… Un philosophe ne sait pas qu'il est philosophe : c'est un titre qu'on décerne à un mort, pas un métier. Le mec qui se pointe et qui prétend l'être est juste un enculeur de mouches, avec la bite appropriée à sa fonction.
— Ça se discute… répond Charline.
— Si tu veux, ma chérie ; on a toute la nuit pour ça.
— Euh… mais nooooon, intervient Inanna. Les rôles sont clairs, non ? Charline enseigne à Brodsky, et nous…
— Vous quoi, les filles ?
— Nous, Hank… on veut ta grosse queue.
— Hé, les filles, vous êtes bien gentilles, mais Hank vient de vous honorer pendant trois heures, et pendant ce temps-là l'enquête piétine.
— Ouais, il a pas tort, les filles… Faut essayer d'avancer un peu.

Tu parles… elles se sont collées toutes les deux entre les cuisses du Vieux et ont recommencé à faire marcher leur langue.

— Vous gênez pas pour nous… siffle Lizzy. Faites comme si on n’était pas là.
— Je ne vois pas pourquoi tu n'aurais pas le droit à ta part, mon chéri, balance Charline en s'agenouillant devant moi à son tour.
— Bon, résumons la situation, Hank… Athanagor se fait buter à la plume d'oie dans un trip sado-maaaaso… ouf… et Lioubov faiiiit brûler le corps.
— Je pars à sa recherche au royauuuuume des morts, et je trouuuve (aaah, les salopes…) peau de balle. Ni en enfer, ni au puuuuurgatoire, ni au paradis.
— OoooOOOooor, l'âme d'un macchabée quitte fatalement son enveloppe teeerrrrestre (c'est trop bon, ma puce) pour continuer son voyaaage autrement.
— Et Lioouubov a bien fait cramer le corps… J'ai vuuuuu les cendres dans l'uuuurne (vous me rendez dingue, les filles).
— Y aaaaaa forcément un truc auquel on a paaaaas peeeenséééé… Aaaaaahhhh bordel, Charliiine…
— J'croiiiiiiis que je vieeeeeens… de trouver, Brodsky… Les filles, vous êtes juste géniales !
— J'ai gagné en tous cas, dit Charline en se redressant. J'y suis arrivée la première.
— Mouais… répond Inanna, c'est juste que Hank est plus endurant, c'est tout.
— Et Hank, il est à nous ! reprend Lizzy en se léchant les lèvres.
— Tu as trouvé quoi, Hank ?
— Hein ? Attends deux secondes, mon Frère, je reprends mes esprits…
— Un… Deux… Tu as trouvé quoi ?
— Un Olympien, Brodsky, ce n'est pas en enfer qu'il faut aller le chercher, mais « aux enfers ». Le monde d'Hadès, pas celui de Satan.
— Ouais… Et donc ce n'est pas Saint Pierre qui a les clefs du grand portail, mais…
— Ouais mon pote…
— Cerbère !

Bon, la nouvelle n'est pas très réjouissante, je l'avoue. Il va falloir recommencer nos recherches depuis le départ et affronter le clebs à trois têtes, donner du fric au passeur… Tout un folklore que tu vas avoir la chance de découvrir, ô lecteur de mon cœur. Le bon côté, avoue, c'est que tu commences à lire un truc léger qui parle de cul, où les merveilleux protagonistes de l'histoire font chauffer leurs neurones à coups de zgeg-storming, et qu'en même temps tu te rends compte que pour le même prix tu es en train de te documenter sur l'histoire de la philo, la théologie chrétienne et la mythologie grecque. Franchement, tu l'aurais cru au moment où tu as commencé à lire les premières lignes de cette aventure ? Comme dit ma copine Catherine, une chouette nana, bien gaulée, avec autre chose qu'un pois-chiche à la place du cerveau, « Avec toi, Brodsky, on ne sait jamais où on va… Mais putain, qu'est-ce que j'aime y aller avec toi ! » Le seul problème pour l'instant, ma chérie, c'est que je ne sais pas non plus où je vais, mais que si je n'y arrive pas très vite, vu que toi aussi tu bosses dans la taule, tu risques de te faire buter… Et franchement, je m'en voudrais. Un peu…


Cette fois, on s'est réparti les rôles autrement. Vu que Hank n'a pas ses entrées dans les enfers et qu'on ne risque pas d'y rencontrer de femmes fatales, c'est moi qui m'y colle. Par contre, la Pink Lady, elle a beau dire qu'elle n'a rien à voir dans cette histoire, on n'y croit pas deux secondes. Donc, cette fois, c'est Hank qui ira lui rendre visite et qui la cuisinera à sa manière. Elle avait l'air de prétendre aimer ça ; hé-hé…

Je me pointe à la Loge pour demander conseil à Lioubov et accessoirement pour l'engueuler, vu qu'en tant que spécialiste de l'Olympe il aurait quand même pu se douter qu'on allait perdre notre temps dans le monde créé par l'imagination perverse des curés du moyen-âge. Mais il est absent, et c'est Radagast qui me reçoit. Il est en train de tester sa dernière invention : un fauteuil à bascule avec godemichés incorporés. Bon, en terme d'invention, il me semble déjà avoir vu ça quelque part, dans un film avec Clooney et Malkovitch, mais il semble très fier des modifications qu'il a apportées au concept initial. Il n'y a pas un, mais deux godemichés sur son fauteuil, ce qui fait qu'à chaque basculement les deux orifices de ces dames se retrouvent comblés de manière alternative. Puis il me parle du prototype qu'il a vu : un fauteuil du même type, avec un seul gode, mais qu'on pourrait régler sur le mode aléatoire, si bien qu'à chaque nouveau basculement l'utilisatrice ne pourrait savoir qui de son trou d'obus ou de son trou de balle (comme disait Gainsbarre) allait recevoir la visite du totem en latex.

— Je suis désolé de te couper dans ton élan créatif, Rad', mais j'ai besoin de tes lumières.
— Laquelle veux-tu que j'allume, mon Frère ?
— Celle des enfers.
— Ah, le Styx ?
— Ouais… On fait comment pour visiter ?
— Normalement, on ne peut pas. C'est un aller sans retour.
— Ouais, mais tu es fils d'Hadès… Tu peux sans doute me faciliter la tâche.
— Évidemment. Tu voudrais quoi ?
— Ramener Athanagor parmi nous afin de savoir qui est l'enfoiré qui l'a envoyé ad patres.
— Oui, je vois… Je vais t'arranger le coup. Tu peux y aller sans crainte.
— Une dernière chose…
— Laquelle ?
— J'ai de gros soupçons sur la personne qui a fait ça. Le mobile me fait défaut, mais je suis quasiment sûr que je tiens le coupable. Alors, pas un mot de tout ça à qui que ce soit. OK ?
— OK. Si on demande après toi ?
— Tu ne sais rien. Ni pour Charline, ni pour Hank, ni pour qui que ce soit.
— D'accord, mon Frère. Bonne chance.
— Mouais… Je crois que je vais quand même en avoir besoin.