La mort de Tanit

Deux ans plus tard, Celle-qui-venait-des-étoiles se trouva à la tête d'une armée de quatre cent mille femmes, pour la plupart aguerries par des officiers qu'elle avait pris soin de former elle-même. L'année suivante, leur nombre dépassait le million, ce qui représentait environ 25 % de la population globale des survivantes que comptait encore le monde. Dans les immenses colonnes à l'armement hétéroclite, on parlait toutes les langues de la Terre et priait toutes sortes de dieux. Malgré la diversité de la troupe, chacune était prête à suivre Velléda n'importe où, et à mourir pour elle à tout moment.

Conformément à la tradition, elle s'était fait tatouer les seins de signes de couleurs vives qui représentaient à la fois son groupe et son territoire d'origine. Chaque nouvelle conquête lui permettait d'en ajouter les symboles comme autant de trophées de guerre lisibles seulement des initiées. Ses guerrières avait été tant de fois victorieuses que les succès se lisaient aussi sur son cou et son ventre. Les régions qui n'avaient pas été conquises par les armes l'avaient été par la négociation, mais les soldates qu'elle commandait n'avaient jamais reculé, même à une contre dix.

On s'inclinait respectueusement devant Velléda, non que celle-ci en éprouvât le moindre orgueil personnel, mais il lui fallait asseoir son autorité pour ne pas laisser son empire retomber dans le chaos. La solitude du pouvoir pesait lourdement sur des épaules ; elle ne s'estimait pas préparée à assumer cette tâche. Seuls ses longs moments de méditation nocturnes lui apportaient le ressourcement nécessaire à la construction de son empire. Constamment, on sollicitait ses ordres pour différents problèmes et il lui fallait réagir dans l'instant. Tout en faisant preuve de réalisme, elle tenait à combattre les injustices et ne distribuait les responsabilités qu'à celles qui avaient fait preuve de leur courage et de leurs capacités.

Par une nuit torride d'été, alors qu'elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, Tanit quitta seule le camp afin de prendre l'air. Mal lui en prit : après avoir parcouru une centaine de mètres, sans doute lasse d'être toujours sur ses gardes, elle se laissa surprendre par une araignée mécanique qui subsistait encore malgré la destruction de leur usine. Elle put rentrer seule, péniblement, mais le venin injecté par l'aiguillon dans sa jambe s'était déjà répandu dans tout son organisme. Chacune savait qu'il n'y avait plus rien à faire pour la sauver.

Elle demeura fière et refusa qu'on l'achève. Elle mourut deux jours plus tard en serrant les dents et, fidèle à son habitude, sans verser une seule larme, dans les bras de Velléda qui, éperdue de chagrin, organisa pour elle des funérailles grandioses où l'ensemble de son armée fut réunie. Elle avait fait à son amie le serment de trouver une solution au problème de l'absence d'hommes, car même si elle n'avait aucune idée de la manière de s'en sortir pour que l'humanité ne disparaisse pas, elle savait intuitivement qu'il y en avait une.

Alors, sur la tombe de son amie, au sommet d'une colline, elle prononça ce discours :

« Mes amies voyez le chemin de liberté
S'ouvrant devant nos pas, lumineux d'espérance !
Vous qui avez choisi de me faire confiance,
Notre marche sera la voie de la fierté.

La nuit fut sur vous quand l'espoir a déserté ;
Maintenant se fait jour un horizon immense :
Voici que l'aube vient, la nouvelle émergence
Du désir de la vie dont je vois la clarté !

Soyons toutes unies vers notre destinée ;
Partons pour une vie d'amour illuminée
Qui jusque dans la mort est voie de dignité.

Je sais que notre route est pleine de menaces,
Mais nous sommes soudées dans la diversité
Où nous trouverons force et courage et audace ! »

De l'endroit où elle se trouvait, elle pouvait voir à des dizaines de kilomètres la foule compacte de son armée rassemblée en silence pour l'écouter. Et dès le dernier mot prononcé, ce fut un tonnerre d'acclamations qui dura plus d'une heure. Velléda fut alors effrayée par sa popularité, plus qu'elle l'avait été par les dragons, les araignées mécaniques qui avaient tué son amie, et les ophimorphes. Elle serra son talisman dans son poing fermé et retrouva confiance, puis leva un bras vers le ciel afin de prolonger l'ovation.