La source inattendue

Un soir, à la tête d'un détachement, elle arriva devant un immense cèdre au milieu d'une vaste lande battue par les vents. La plupart des grands arbres avaient déjà brûlé au cours des précédents conflits : cette rencontre tenait du miracle. Velléda ordonna d'installer le camp à cet endroit.

Dès la nuit suivante, elle s'isola au pied du conifère, interdisant qu'on la dérange.
Elle effleura le tronc de ses deux mains en fermant les yeux, se laissant imprégner par l'odeur de l'écorce. Immédiatement, elle sentit l'esprit du cèdre communiquer avec elle :

— Te souviens-tu de moi ? Tu étais toute mouillée à cause de la tempête, et tu as fait sécher ton vêtement sur l'une de mes branches tout en chantonnant. Je me rappelle encore ta chanson joyeuse et ta jument à côté de toi. C'était il y a trois mille ans… je suis si vieux à présent ! Et tant de souvenirs des bruits étranges de cette Terre peuplée d'hommes et de femmes bien peu sages, par lesquels tant des miens ont péri abattus ou brûlés. Il est étrange que je sois toujours vivant, mais ainsi est mon destin.
— Oui, je m'en souviens maintenant. Je ne reconnaissais rien : le paysage a tant changé autour de toi !

Au travers des fumées, vois le disque lunaire.

L'arbre fit une pause silencieuse, puis reprit :

Je perçois en toi force et profondeur prouvant
La valeur qui t'anime et les dangers bravant ;
Tu progresses droite, et ton cœur est visionnaire.

Je suis le cèdre au tronc immense et millénaire,
Aveugle, certes, mais j'ai écouté le vent
Évoquer notre monde aujourd'hui et avant :
Ainsi je connais que tu viens pour clore une ère.

Tu es l'Imperator aux conquêtes glorieuses.
Tes soldates te suivent en tes voies belliqueuses ;
Cependant tu n'es pas assoiffée de pouvoir.

Ton action changera la face de la Terre ;
C'est le souffle nouveau, la brise salutaire,
L'espérance que rien ne laissait entrevoir.

L'espérance ? Le mot laissa dubitative la générale à laquelle pourtant toute action réussissait. Chaque année passée en détruisait le peu qui restait. On avait beau fouiller partout : nulle trace masculine, ni à la surface de la Terre, ni dans les profondeurs des abris et des grottes. Chaque nuit, Velléda tournait sa tête vers le ciel et criait sa désespérance d'être à la tête du dernier groupe humain encore organisé et cependant voué d'une manière certaine à la disparition à cause de l'absence d'hommes. Chacune pouvait l'entendre, cependant sans s'approcher d'elle à ce moment-là car elle l'interdisait, exigeant d'être seule pour méditer.
Elle sentait la folie la guetter ; et si, grâce à son talisman, elle ne craignait plus rien, une sorte de rage la prenait parfois ; elle aurait tué de ses mains quiconque l'aurait dérangée.

Avec la permission du cèdre, elle préleva une branche encore verte et s'en fabriqua un arc, comme le jour de sa première émergence. Ayant eu l'idée de fixer un bâton de dynamite sur chaque flèche, elle réussit à abattre ainsi des dragons en plein vol, un exploit qui n'avait jamais été accompli jusque là. À la suite de cette invention, la légende de Velléda, guerrière invincible, se répandit avec encore plus de force qu'auparavant.

Une nuit, le même corbeau que celui qui lui avait parlé sur la croix plusieurs milliers d'années auparavant revint après un long vol circulaire.

Tu as tant crié que l'Étoile a eu pitié.
Les hommes ont disparu par trop de démesure ;
Leur âme corrompue avait trop de noirçure :
Leur genre fut ainsi maudit, puis châtié.

Mais voici que l'humain, cependant amnistié,
Sera finalement guéri de sa blessure ;
Il ne s'éteindra pas : ainsi je te rassure
Car nous vous conservons toujours notre amitié.

Il n'est pas terminé, le dur temps des épreuves !
Mais il faut à présent que les femmes s'abreuvent
À la source abondante issue d'un ciel fécond.

Demain se lèvera un grand soleil de joie !
À l'aube admirez donc, dès que l'astre rougeoie,
Ce qu'un ciel généreux offre d'un blanc flocon.

Velléda médita ces paroles jusqu'au lever du soleil sans en comprendre le sens. De la neige ? Elle n'en avait observé qu'aux époques antiques, car l'abus des combustibles fossiles avait fortement augmenté la température terrestre : après la fonte complète des glaciers, les océans s'étaient mis à rejeter le carbone qu'ils avaient jusque là patiemment absorbé, de sorte que la machine climatique s'était brusquement emballée.

Étrangement, il lui sembla que la luminosité était exceptionnellement forte, lui rappelant les journées anciennes où il fallait plisser les yeux pour regarder l'azur. Ses compagnes n'avaient jamais vu cela et se trouvaient éblouies avant même que le jour se fût levé. Certaines criaient et commençaient à paniquer car elles n'y comprenaient rien. La couverture de cendres grises qui masquait l'astre solaire s'était déchirée par endroits, et il semblait soudainement que la nuit prenait fin.

En effet, il neigea, mais d'une neige étrange qui n'était pas froide ; ce n'était pas non plus de la pluie, pas même le liquide nauséabond qui tombait parfois et dont il fallait se protéger.

Velléda comprit la première pour se trouver la seule, à part peut-être les plus anciennes, à connaître cela : c'était du sperme, tiède, et au goût salé. Oui, la semence masculine, la sève des hommes disparus, tombait d'un ciel sans nuages. D'où venait-elle, pourquoi, comment ce miracle : mystère. Mais ce mystérieux nectar était vital et il fallait en profiter immédiatement. Chacune reçut l'ordre de s'allonger jambes écartées et le sexe tourné vers le ciel. Il fallut à la commandante toute son autorité pour que chacune obéisse à un ordre aussi étrange, car ses soldates craignaient ce qu'elles ne comprenaient pas.

Les averses fécondes, qui ne duraient que quelques minutes, se reproduisaient chaque matin. Après avoir compris de quoi il retournait, les femmes dansaient de joie après avoir accueilli la manne fécondante dans leur vagin ouvert. Seule Velléda se tenait à l'écart de cette orgie fertile afin de rester pleinement disponible pour celles qui lui faisaient confiance.

Neuf mois plus tard, elle courait d'un accouchement à l'autre pour aider, encourager, parfois consoler les amies de celles qui mouraient en couches, car il fallait se débrouiller avec des moyens de fortune et ce qu'il restait de l'humanité féminine avait oublié depuis longtemps comment il fallait procéder afin de donner la vie.

En l'absence de media, la nouvelle se répandit sur toute la Terre au rythme du bouche-à-oreille. Les femmes venaient de partout, à pied le plus souvent, parfois dans de curieux engins motorisés réparés et bricolés, pour celles qui avaient pu se procurer du carburant. Toutes se soumettaient librement à l'autorité de celle qui avait su mettre un terme à la malédiction. Celle-ci était vraiment levée, car parmi les nouveau-nés se trouvaient autant de garçons que de filles.

Un an plus tard, les averses de semence cessèrent. Une nouvelle génération comportant des mâles était enfin venue, et plus tard il fallut réapprendre à s'étreindre entre personnes de sexes différents et rétablir les usages de la séduction.

Partout l'espoir renaissait, car tout devenait possible. Il restait à fonder une nouvelle civilisation sur une couche de poussière. Table rase sur les erreurs du passé, les rêves orgueilleux de contrôle et de puissance, les destructions inconsidérées de l'environnement.

Celle-qui-venait-des-étoiles fut élevée au rang de première impératrice de l'ère nouvelle, aimée autant que respectée, indulgente et compréhensive la plupart du temps mais ferme et sachant condamner lorsqu'il le fallait.